Le leopard des neiges by Matthiessen Peter

Auteur:Matthiessen, Peter [Matthiessen, Peter]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Américaine, Voyage, Spiritualité
Éditeur: Chrissounet - TAZ
Publié: 2013-02-17T19:15:56+00:00

28 octobre.

Une neige légère est tombée toute la soirée mais ce matin le ciel est dégagé. Avant toute nouvelle tentative les Ring-mos ont demandé une augmentation qui leur a été refusée ; ils sont donc partis. Je pense comme GS que ce sont des bandits, mais comme notre note de frais au tarif des salaires d’Asie ne se serait élevée qu’à vingt-cinq dollars en tout, cela me paraît une fausse économie. Pourtant il estime, et il a sans doute raison, que n’importe comment ils nous auraient laissés tomber avant le col et que cette dépense eût été inutile.

GS a quitté le Camp de la grotte de bon matin dans l’espoir que la croûte de neige sera assez résistante pour supporter le poids des hommes avant que le soleil la ramollisse. Il a emmené les deux Ring-mos qui acceptent d’être guides mais non porteurs, ainsi que Jang-bu, le meilleur interprète, et Phu-Tsering, le meilleur montagnard. Ils emportent peu de chose et essaieront d’arriver à Shey où ils tenteront de recruter de nouveaux porteurs. Pendant ce temps Dawa transportera du bois au dépôt du champ de neige au cas où GS et son groupe ne pourraient pas traverser le Kang La et se feraient surprendre au retour par la neige ou l’obscurité. Je resterai pour garder le camp car les porteurs ont la main preste et l’un d’eux m’a déjà subtilisé mon fidèle gourdin.

Il est midi. Dawa remonte péniblement dans la pénombre du défilé. Je me réjouis de passer une journée tout seul bien que ce camp soit le plus inhospitalier de tous depuis Pokhara. On gèle dans cette faille coudée, étroite et profondément encaissée dans le roc, car, sauf pendant une demi-heure au début de la matinée, lorsque le soleil a passé comme un présage entre les pics, le camp est resté plongé dans une ombre épaisse. À ces altitudes, pendant l’automne himalayen, la différence entre les zones situées à l’ombre et au soleil est frappante : le ruisseau qui coule près de ma tente est pris par la glace tandis que des lézards paressent au soleil un peu plus haut sur le rocher où je grimpe pour me réchauffer et écrire ces notes.

Au début de l’après-midi le soleil effleure ma tente puis disparaît très vite ; un vent glacé venu du Kanjiroba balaie le ravin et il fait trop froid pour rester immobile ; je redescends un peu jusqu’à un endroit où on peut voir le grand glacier et les séracs. Le vent chasse la neige des pics vierges qui scintillent dans la lumière, et des couleurs magiques parent les nuages qui glissent de cime en cime dans leurs hautes courses bleues.

Une fois de plus je suis frappé par le yin-yang de ces rivières : une berge en pente, blanche jusqu’au bord de l’eau, l’autre sombre, avec cependant une plaque de neige du côté noir et un rocher noir du côté blanc, chaque rive contenant le germe de son contraire. L’équilibre des principes cosmiques positif (yang), négatif (yin), tel qu’il

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